Association d'Assistants Familiaux Lorrains

"le risque pour leur santé est réel" : trop de bébés placés en gironde, la pouponnière dans une impasse

22-07-2024

En juin 2024, la pouponnière de la Gironde située à Eysines accueille 47 enfants. Officiellement, elle n'a pourtant que 40 places. Nous l'avons visitée.

Les cris des bébés résonnent dans le couloir de la pouponnière de la Gironde. Confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ou nés sous X, ils sont 47 à vivre dans le bâtiment situé à Eysines, dans l’agglomération de Bordeaux, en ce mois de juin 2024. Pourtant, la pouponnière ne compte que 40 places « officielles ».

Ce n’est pas la première fois qu’elle est en sureffectif, mais « depuis deux ans, c’est en continu et ça ne s’arrange pas ». Ni en Gironde, ni ailleurs en France. À tel point qu’une députée a récemment tiré la sonnette d’alarme, tant le sureffectif peut avoir des conséquences désastreuses sur la santé des bébés.

Qui est accueilli en pouponnière ?

Âgés de trois ans maximum lorsqu’ils entrent à la pouponnière, les enfants qui sont confiés à l’ASE y restent huit mois en moyenne avant de partir en famille d’accueil (tandis que les bébés en passe d’être adoptés restent trois mois).

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Dans les unités où ils sont accueillis – des sortes de petits appartements – les bambins sont censés être cinq, pas plus. Pourtant, ils sont parfois six ou sept. « Dans des espaces comme ça, on sent vite la différence », souligne Stéphanie Charnolé, responsable petite enfance à la pouponnière.

Syndrome d’hospitalisme

Concrètement, le sureffectif « est continu depuis octobre 2022 », confie Franck Bottin, directeur du Cedef en Gironde (Centre départemental de l’enfance et de la famille), qui gère la pouponnière. Cela signifie que les bébés passent « moins de temps en individuel » avec les professionnels qui s’occupent d’eux.

Or, « c’est l’essence même de leur capacité à se développer que d’avoir du face-à-face et d’être portés », explique Stéphanie Charnolé. À terme, à cause du manque d’affection, « ils peuvent donc développer des troubles ». Comme le syndrome d’hospitalisme.

Il se caractérise par des troubles psychiques dus à une carence affective et survient souvent chez les enfants institutionnalisés avant l’âge d’un an et demi. Fin mai, déjà, la députée Isabelle Santiago avait alerté sur la « détresse psychologique des bébés » placés dans les pouponnières en France, après avoir visité un établissement en sureffectif dans le Puy-de-Dôme.

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« Les constats sont aberrants : le syndrome d’hospitalisme fait son grand retour dans notre pays », avait-elle notamment dénoncé, comme le rapporte Le Monde. « En Gironde, on n’en est pas là mais si nous ne réagissons pas, oui, c’est un risque réel pour la santé des bébés », prévient Stéphanie Charnolé.

Trop de bébés, pas assez de familles d’accueil

Pour pouvoir réagir, il faut d’abord comprendre la source de ce sureffectif. « On assiste depuis deux ans à une explosion du nombre de mesures de protection des petits enfants », relate Franck Bottin. Concrètement, cela signifie que de plus en plus d’enfants en bas âge sont retirés à leurs familles et confiés à l’Aide sociale à l’enfance.

Dans le département, la plupart de ceux âgés de moins de trois ans atterrissent à la pouponnière avant d’être placés en famille d’accueil (appelées « assistants familiaux »).

Et un autre problème se pose : « En à peine dix ans, le nombre d’assistants familiaux a été divisé par deux. » Une situation d’autant plus alarmante que les familles d’accueil peuvent héberger moins d’enfants par foyer qu’auparavant.

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La pouponnière accueille donc plus de bébés alors qu’il y a « beaucoup moins de pistes de sorties ». Inévitablement, « ça crée des embouteillages ».

Pas de solution miracle

Face à l’afflux inédit d’enfants placés ces derniers mois, la pouponnière a déjà poussé les murs. Alors que son nombre de places était limité à 35 (grâce à des travaux terminés en 2020), elle a réorganisé ses unités pour pouvoir accueillir un groupe supplémentaire de cinq bébés et arriver à 40 places. Mais ça n’a pas suffi.

Les demandes d’accueil continuent d’affluer et même s’il lui arrive de « différer les arrivées », la pouponnière a du mal à dire « non ». Alors d’autres travaux sont prévus, pour « que tous les enfants sont accueillis de manière équitable » et pour que l’institution puisse, à terme, recevoir 45 enfants.

Mais face à la charge de travail, beaucoup d’employés fatiguent et le nombre d’arrêts maladie augmente. Ils doivent donc être remplacés et de nouveaux visages viennent s’ajouter à l’équipe.

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« Le problème, c’est qu’il faut éviter la multiplication des visages auprès des enfants », souligne Franck Bottin. Ainsi, « plus on rajoute des renforts ou des remplaçants pour pallier aux difficultés, plus on risque d’impacter le développement des bébés ».

Pas de solution miracle donc, même si « les employés donnent toute leur énergie pour assurer le bien-être des bébés ».

Un nouveau décret et des changements globaux

« On arrive à un carrefour de chemins, on est en bout de course et il faut inventer de nouvelles solutions aujourd’hui au niveau national pour trouver une place à tout le monde », soutient le directeur du Cedef.

Pour lui, cela pourrait passer par de nouvelles structures d’accueil, par un travail sur l’attractivité et la reconnaissance des métiers du social et par de la prévention auprès des familles en difficulté.

Aujourd’hui, un groupe de travail dont Stéphanie Charnolé fait partie réfléchit à des pistes de modification du décret de 1974, qui régit le taux d’encadrement (en bref, le nombre de professionnels par enfant). Un décret « obsolète », qui prévoit un adulte pour 30 enfants la nuit et un pour six enfants le jour.

Isabelle Santiago, la députée qui avait tiré la sonnette d’alarme, proposait plutôt des chiffres se rapprochant d’un adulte pour trois enfants le jour et cinq la nuit, selon Le Monde. En Gironde, si le nombre de places officiel était respecté, la pouponnière rentrerait dans ces clous.