Association d'Assistants Familiaux Lorrains

Enfants placés : florent georgesco retrace le parcours de cinq jeunes dans son livre « vies imprévues »

30-03-2024

Passer par l'Aide sociale à l'enfance s'avère parfois chaotique mais n'empêche pas de s'en sortir.

Le journaliste Florent Georgesco, auteur de Vies imprévues (Grasset, sortie le 20 mars), s'est intéressé à cinq jeunes au parcours remarquable.

Valérie Josselin le 23/03/2024

Les chiffres sont terrifiants : les 340 000 enfants pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) ont deux fois plus de risques d'être atteints d'un cancer à l'âge adulte et trente-sept fois plus de souffrir de troubles dépressifs. Chaque année, sur 100 000 nouveaux cas de mineurs à protéger, 25 000 ne parviendront pas à s'insérer correctement dans la société ou deviendront sans domicile fixe, et 50 000 présenteront divers troubles psychiques*.

Jimmy, dont la jambe a été brisée par les coups de son père, Tricia, orpheline à 12 ans, Souleymane**, arrivé seul en France à 14 ans après avoir connu l'enfer des camps libyens, Schouka, extraite à 5 ans d'une famille incestueuse et violente, et Audrey, qui, à 5 ans, allait à l'école pas lavée, pas nourrie, nous montrent qu'il n'existe, en ce domaine, aucune fatalité. Ils ont aujourd'hui entre 20 et 30 ans et ont un toit, un métier, un amoureux, des projets et, pour Tricia, une petite fille pleine de vitalité !

Un bonheur arraché de haute lutte

Pour comprendre comment ils sont revenus de si loin, Florent Georgesco, journaliste au Monde, s'est donné le temps de les rencontrer durant plusieurs mois, à de multiples reprises. « Je voulais sortir de l'angle sous lequel on aborde généralement le placement d'enfants (dysfonctionnements de l'ASE, drames, faits divers) et raconter la complexité d'un chemin avec ses hauts et ses bas, ses avancées et ses reculades, qui, pour certains, débouche sur le bonheur simple d'un quotidien banal, explique-t-il.

Quand la plupart d'entre nous en héritent sans se poser de question, eux l'ont bâti patiemment, ardument. Ces cinq jeunes ont conscience que c'est un trésor fragile qu'ils tiennent entre les mains, que la précarité, s'ils relâchent leurs efforts, peut ressurgir à tout instant. Les revoir en octobre 2023 (pour rédiger mon épilogue) m'a permis de constater que, s'ils ne sont pas complètement sortis d'affaire, si leur trajectoire reste marquée par les séquelles de leur enfance brisée, ils sont foncièrement déterminés à échapper à la reproduction sociale. Ils nous apprennent cette capacité à dépasser ce qui était prévu pour nous. Leur message est universel. »

Une question de rencontres

On aimerait tant comprendre la « recette » de ce miracle. Florent Georgesco a posé la question aux éducateurs de l'association Matins bleus (sept foyers dans le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône), qui les a aidés à grandir. Réponse : il n'y en a pas ! Il y a des enfants qui subissent très jeunes les pires horreurs et qui s'en sortent, quand d'autres, en butte à une « moindre » violence, s'effondrent.

« Ce qui est sûr, c'est que la qualité du travail des éducateurs et des familles d'accueil, leur intelligence et leur humanité, ainsi que la stabilité dans le temps des équipes, des règles, des repères, sont des conditions préalables à la possibilité d'une reconstruction, observe le journaliste, qui n'utilise volontairement pas le mot “résilience”, trop galvaudé selon lui. Plus l'enfant est accueilli tôt, plus on lui offre la possibilité de bricoler une instance familiale symbolique, face à laquelle il va pouvoir s'affrmer comme un individu singulier capable d'avancer. » Davantage sécurisé, le jeune est alors à même de saisir les mains tendues et les opportunités… lorsqu'elles se présentent. Car rencontrer les bonnes per­sonnes au bon moment est aussi une question de chance.

« Jimmy, Tricia, Souleymane, Schouka et Audrey ont sur­tout en commun un désir de vivre qui les tracte et force l'admiration, reconnaît l'auteur de Vies imprévues. Tous se sont retrouvés, à un moment ou à un autre, à la croisée des chemins avec la possibilité de basculer du mauvais côté. Malgré toute l'aide apportée par les éducateurs, il faut cette conscience affûtée – on est seul, au bout du compte, à déci­der de sa vie – pour faire les choix qui vous permettent de ne pas sombrer. »

Les épauler le plus longtemps possible

Crise des vocations, réduction des capacités d'accueil en maisons ou en familles… Aujourd'hui, un Jimmy ou un Souleymane n'aurait sans doute malheureusement pas pu être pris en charge, avec les conséquences que l'on imagine. « La situation alarmiste de la pédopsychiatrie en France n'arrange rien, fait remarquer Florent Georgesco. Des enfants dotés de pathologies mentales de plus en plus lour­des se retrouvent placés en foyers d'urgence, alors qu'ils n'ont rien à y faire, et perturbent la dynamique de groupe. »

Autre problème : la date couperet des 18 ans, qui oblige beaucoup des adolescents placés à choisir une orientation précoce (de type CAP), y compris pour ceux ne rencon­trant aucune diffculté scolaire, quand leur majorité ne les envoie pas à la rue. « Lorsque les enfants placés peuvent signer un contrat jeune majeur (sous conditions, variables d'un département à l'autre), qui permet de bénéficier d'aides importantes jusqu'à 21 ans, cela change tout, note le journaliste. Demander à ceux qui ont le moins de ressour­ces et de soutien familial de s'en sortir plus vite est aber­rant. » La Loire­Atlantique et la Seine­Saint­Denis ont décidé de pousser leur accompagnement jusqu'à 25 ans, mais ces dispositifs restent exceptionnels. Quand ils par­viennent à échapper à leur assignation d'origine, ces jeunes peuvent donc être fiers d'eux ! « Ils nous rappellent que notre besoin de maîtrise est illusoire et qu'il faut faire confiance à nos enfants, même lorsqu'ils prennent des che­mins de traverse, ajoute­t­il. Car aucune vie n'est linéaire… »

Vies imprévues, Florent Georgesco, (Grasset).

* Chiffres cités par le programme Pegase, premier programme de santé publique expérimental proposant aux enfants de l'ASE un suivi standardisé et des soins psychiques précoces.

** Seul prénom à avoir été changé pour des raisons de confidentialité.

https://www.femina.fr/article/enfants-places-florent-georgesco-retrace-le-parcours-de-cinq-jeunes-dans-son-livre-vies-imprevues